
Raconte-moi Nice
Dessiner ensemble, retrouver la spontanéité
Une interview de Philippe Nicloux, illustrateur
Philippe Nicloux raconte son expérience au sein des ateliers Raconte-Moi Nice, où spontanéité, humour et humanité redessinent notre regard sur le grand âge.
GF : Philippe, peux-tu partager quelques éléments de ton parcours ?
Philippe Nicloux : Je suis illustrateur de bande dessinée. Au fil des années, j’ai collaboré avec différents scénaristes sur plusieurs ouvrages — Terra Australis, Matsumoto, Terra Doloris, Babylone, pour n’en citer que quelques-uns. J’ai aussi enseigné le dessin : dans des écoles, des collèges, des lycées, et plus récemment dans une école de jeux vidéo.

Philippe Nicloux
GF : Quand tu as accepté de participer à Raconte-Moi Nice, dans quel état d’esprit étais-tu ? Entre curiosité, crainte ou enthousiasme, où te situais-tu ?
PN : Eh bien… un peu tout cela à la fois !
Il y avait de la curiosité, bien sûr, parce que le public des ateliers Raconte-Moi Nice n’a rien à voir avec celui des élèves que je côtoie d’habitude. Il y avait aussi une envie. Depuis quelques années, je ressens le besoin de sortir de mon atelier et d’aller à la rencontre des autres. Le métier de dessinateur de BD, aussi passionnant soit-il, reste très solitaire. J’éprouve également le besoin de « transmettre ». Sauf qu’ici, ce n’était pas tant transmettre que partager. Pour être honnête, j’ai surtout eu l’impression que ce sont les résidents qui m’ont transmis quelque chose.
J’éprouve également le besoin de « transmettre ». Sauf qu’ici, ce n’était pas tant transmettre que partager. Pour être honnête, j’ai surtout eu l’impression que ce sont les résidents qui m’ont transmis quelque chose.
Et puis, j’avais aussi quelques craintes : je n’avais jamais travaillé avec un public confronté à des fragilités sensorielles ou motrices. Je redoutais un peu les difficultés liées à la vue, à l’ouïe, à la mémorisation ou à la coordination. Et sans doute, cela réveillait mes propres angoisses liées au vieillissement. Mais dès que je me suis retrouvé sur place… toutes ces inquiétudes se sont évaporées. Grâce à la présence attentive des accompagnants et à nos approches créatives souples, chacun a pu trouver sa place et participer à son rythme et selon ses capacités.

Le poème écrit collectivement inspire l’illustration réalisée en seconde partie d’atelier : Philippe compose le fond, tandis que les participants en dessinent les détails.
GF : Comment se sont déroulés les ateliers, et que faisais-tu concrètement ?
PN : L’ambiance était joyeuse, vivante, presque festive. On avait l’impression d’arriver dans un groupe d’amis de longue date qui se taquinent, se racontent leurs petits tracas et rient ensemble.
Pour nous adapter aux différentes capacités sensorielles ou intellectuelles, nous avons imaginé des exercices simples mais amusants, capables de susciter l’envie sans mettre quiconque en difficulté. Côté écriture, l’approche ludique proposée par Geneviève — poétique, libérée de toute contrainte de réalisme — a rassuré tout le monde et favorisé une vraie liberté créative.
Dès que les crayons sont distribués, les hésitations s’envolent.
Pour le dessin, une fois passée l’éternelle phrase « Je ne sais pas dessiner », nous avons opté pour des compositions collectives où chacun pouvait participer selon son envie et sa fantaisie. Et, étonnamment, les hésitations disparaissaient très vite : en quarante-cinq minutes, on a produit une belle quantité de dessins !
Retrouver la spontanéité, presque enfantine du dessin, est un vrai plaisir. Illustrer des poèmes colorés et joyeux, sans la pression de la technique, m’a fait beaucoup de bien.
GF : Es-tu satisfait du travail réalisé collectivement ?
PN : Oui, absolument. Chaque session était différente, mais à chaque fois, nous avons abouti à des créations très riches. J’ai particulièrement aimé les moments où, après avoir écrit des poèmes sur une Nice légèrement surréaliste, tout le monde se mettait à dessiner, sans crainte du jugement, avec une liberté totale.
La spontanéité artistique des participant.e.s m’a rappelé la véritable beauté de l’art.
La mise en forme ensuite — organiser, composer, harmoniser ces éléments si différents — était magique. De ces fragments disparates sont nées des compositions cohérentes surprenantes et agréables illustrant les poèmes. C’est très différent de mon travail de bande dessinée, où je sais exactement où je veux aller. Ici, la spontanéité règne, et cela rappelle la véritable beauté de l’art et ça m’a fait du bien.

Illustration du poème Le Grand Mesclun Niçois, co-écrit avec les résident.e.s de Ma Maison de Nice.

GF : Qu’as-tu appris au contact des personnes âgées ? Ton regard a-t-il évolué ?
PN : Ces ateliers ont soigné mes appréhensions sur la vieillesse. Je n’ai plus peur de vieillir, ni de voir mes parents vieillir. J’ai trouvé les participants touchants, drôles, profondément humains. Dans la vulnérabilité du grand âge, les filtres tombent : pas de jeux d’ego, pas de rapports de pouvoir… juste des personnes, à nu, sincères. Ce dépouillement est beau — artistiquement et humainement. Je me sens chanceux d’y avoir eu accès.
À propos
Raconte-moi Nice invite des personnes âgées vivant dans des EHPAD ou des résidences autonomie à réveiller les émotions sensorielles et les récits intimes liés au patrimoine niçois. Écriture, dessin, découvertes culturelles… Le projet, d’envergure nationale, conçu par l’association L’Art est un jardin avec le soutien de la Fondation des Petits Frères des Pauvres, est réalisé à Nice en collaboration avec Le Projet 99 et donnera lieu à l’édition d’un recueil de textes et dessins en 2026.