Portrait de Mustapha Merouan

IMG-20210715-WA0048

Mustapha Merouan est enseignant et doctorant en études amazighes*. Il a rejoint 99 FEMMES MAROC en juillet 2021 pour participer activement à la première étape du projet : le recueil et la transcription des récits oraux des femmes des villages. Pour ce passionné de culture amazighe, ce travail de terrain contribue à la sauvegarde et à la promotion du patrimoine amazighe. Mais c’est avant tout une expérience humaine passionnante partagée avec les femmes des villages .

*amazighe =berbère

MUSTAPHA MEROUAN photo

Mustapha Merouan is a teacher and doctoral student in Amazigh studies *. He joined 99 WOMEN MOROCCO in July 2021 to actively participate in the first stage of the project: the collection and transcription of oral stories from village women. For this enthusiast of Amazigh culture, this fieldwork contributes to the safeguard and promotion of the Amazigh heritage. But above all, it is a fascinating human experience shared with the women of the villages.

*amazighe = berber

Mustapha, vous êtes enseignant et doctorant en études amazighes. Vous vous définissez comme oraturiste [1]. Pouvez-vous nous raconter votre parcours ?

Je suis entré à la faculté en 2007 et j’ai commencé par étudier l’économie et la gestion. En parallèle, je me suis impliqué dans la vie estudiantine en tant que militant du mouvement culturel amazighe (MCA), ayant moi-même été élevé dans cette culture. Après avoir obtenu ma licence, je me suis dirigé vers l’enseignement de l’arabe et du français en classes primaires. Tout en enseignant, j’ai entamé par correspondance une seconde licence en lettres à Agadir en 2016 puis un master en Langue et Littérature amazighes à Fès en 2020. Major de ma promotion, j’ai réussi à m’inscrire en cycle doctoral avec le soutien de la fondation We Speak Citizen WSC et l’encadrement de Mr. Mohamed Arji. Mon sujet de thèse porte sur la classification des genres poétiques de tribus et territoires berbères Ait Atta et des Ait Ouaouzguite, dans leurs formes ancestrales aussi bien que contemporaines. Je suis passionné par la recherche-action. Le travail sur le terrain de collecte et de classement des œuvres orales en amazighe est  le préalable indispensable à la construction d’un savoir. Mais c’est aussi un engagement à collecter, transcrire,  sauvegarder, promouvoir  et réactiver le patrimoine culturel amazighe.

[1] Qui étudie la production humaine dans son aspect orataire (adj. dérivé du mot orature)

Mustapha, you are a teacher and doctoral student in Amazigh studies. You define yourself as an oraturist [1]. Can you tell us about your background?

I entered college in 2007 and I started studying economics and management. At the same time, I got involved in student life as an activist of the Amazigh cultural movement (MCA), having myself been raised in this culture. After obtaining my bachelor’s degree, I moved on to teaching Arabic and French in primary schools. While teaching, I started by correspondence a second degree in letters in Agadir in 2016 then a master’s degree in Amazigh Language and Literature in Fez in 2020. Major of my promotion, I managed to enroll in a doctoral cycle with the support of the We Speak Citizen WSC foundation and the supervision of Mr. Mohamed Arji. My thesis subject relates to the classification of poetic genres oratory of Berber tribes and territories Ait Atta and Ait Ouaouzguite, in their ancestral as well as contemporary forms. I am passionate about action research. Fieldwork of collecting and classifying oral works in Amazigh is the essential prerequisite for building knowledge. But it is also a commitment to collect, transcribe, safeguard, promote and reactivate the Amazigh cultural heritage.

[1] Who studies human production in its oratory aspect (adj. Derived from the word orature)

Qu’est-ce que l’orature ? Pouvez-vous nous en dire plus sur cette discipline?

L’orature est un terme inventé en 1973 par le linguiste et théoricien Ougandais Pio Zirimu. C’est une nouvelle discipline qui étudie les langues parlées et le langage oral transmis de bouche à oreille sans recours à l’écrit dans leur dimension complète ; l’orature contient en effet des éléments performatifs tels que les gestes, la danse et l’interaction entre le conteur et le public. L’orature classe et étudie les œuvres orales et s’appuie sur de nombreux domaines des sciences humaines et sociales : les sciences du langage bien sûr mais aussi l’anthropologie ou l’histoire.

What is orature? Can you tell us more about this discipline?

Orature is a term coined in 1973 by Ugandan scholar Pio Zirimu. It is a new discipline which studies spoken languages and oral language transmitted by word of mouth without recourse to writing in their full dimension; orature indeed contains performative elements such as gestures, dance and interaction between storyteller and audience. Orature classifies and studies oral works and crosses several areas of the social sciences such an the language studies of course but also anthropology or history.

Quelles sont les communautés qui parlent l’amazighe ?

La langue amazighe est parlé dans tout l’espace nord africain qui couvre un large territoire et comprend le Maroc, l’Algérie, la Tunisie, la Lybie mais aussi la Mauritanie, le Mali, le Niger et le Burkina-Faso. Au Maroc, il existe trois variantes : Tarifiyt (rifain), Tamazight (amazigh), Tachlhiyt (chleuh). Et l’écriture est le Tifinagh qui date de l’antiquité (3000 av.J.C). La langue amazighe est presque partout la même avec des variantes qui diffèrent par la prononciation et le degré d’emprunt à l’arabe, à l’espagnol ou au français. Ces emprunts sont la trace d’une « déformation civilisationnelle » liée à la longue histoire d’invasions et de colonisations de l’espace nord-africain. Depuis les indépendances, l’instauration d’une culture dominante (arabisation) a affaiblie la langue et la culture amazighes autochtones. Dans les années 80 et 90, des voix se sont levées pour sauvegarder et promouvoir la langue et la culture amazighes ce qui a abouti au Maroc à  la création de l’institut royal de la culture amazighe (IRCAM) puis à l’enseignement de la langue amazighe en primaire depuis septembre 2003 et enfin la reconnaissance officielle de la langue amazighe en juillet 2011.

Which communities speak Amazigh?

The Amazigh language is spoken throughout the North African space which covers a large territory and includes Morocco, Algeria, Tunisia, Libya but also Mauritania, Mali, Niger and Burkina Faso. In Morocco, there are three variants: Tarifiyt (rifain), Tamazight (Amazigh), Tachlhiyt (chleuh). And the writing is the Tifinagh, which dates back to ancient times (3000 BC). The Amazigh language is almost the same everywhere with variations that differ in pronunciation and degree of borrowing from Arabic, Spanish or French. These borrowings are the trace of a “civilizational distortion” linked to the long history of invasions and colonizations of the North African area. Since independence, the establishment of a dominant culture (Arabization) has weakened the indigenous Amazigh language and culture. In the 80s and 90s, voices were raised to safeguard and promote the Amazigh language and culture, which led in Morocco to the creation of the Royal Institute for Amazigh Culture (IRCAM) and then to the teaching of Amazigh language in primary since September 2003 and finally official recognition of the Amazigh language in July 2011.

ⵀⵣⵣⴰ ⵜⵉⵟⵟ ⴰ ⵡⴰⴷⴷⴰ ⵉ ⵉⵔⴰ ⵡⵓⵍ, ⴰⴷ ⵔⵖⴻⵖ  ⴰⵙ ⵏⴽⴽⵉⵏ ⴷⴷⴰ ⵎⵉ ⵜⴽⵉⵜ ⴰⴼⴰ!

ⵜⵖⵣⴰ ⵜⵖⵓⴼⵉ ⴷⵉⴳⵉ ⵢⴰⵏ ⵡⴰⵏⵓ ⵙ ⵉⴷ ⵍⵎⵉⵜⵔⵓ, ⵀⴰⵜ ⵜⵙⴳⵓⵍⴰⵜⵉⵏ ⴰⵎⴰⵏ!

Mon amour lève tes yeux, regarde-moi, pour que je me chauffe, que ton feu me brûle ! Ton désir a creusé un puits de plusieurs mètres : il atteint l’eau !

Extrait d’un chant de Timnaḍin sur l’Amour.

the-amazigh-logo-psd-444871

Comment avez-vous découvert le projet 99 FEMMES MAROC ? Pourquoi avez-vous décidé de rejoindre l’aventure ?

C’est à l’occasion d’une visite de Karine (Benabadji) de l’association OPEN VILLAGE dans l’école du village de Skoura où j’enseigne.  J’ai pu échanger avec elle sur les grands principes de la conservation du patrimoine, parler du projet 99 FEMMES MAROC et de mon expérience de chercheur, en particulier sur la méthodologie du recueil des verbatims. Je me considère comme très chanceux de faire partie de cette expérience humaine. J’ai grandi dans ce monde de femmes et j’ai appris à écouter notamment grâce à ma mère qui était connue pour sa qualité d’écoute et sa capacité à résoudre les conflits entre les personnes. Le projet 99 FEMMES MAROC donne aussi un nouvel élan à ma vie professionnelle car c’est une plateforme structurée et ambitieuse qui reconnaît un avenir à la femme rurale, qui la reconnaît comme source et pilier de tout développement. Ce projet me plait car il revient à la nature, aux valeurs ancestrales et aux traditions.

How did you find out about 99 WOMEN MOROCCO? Why did you decide to join the adventure?

It was during a visit by Karine (Benabadji) from the OPEN VILLAGE association to the school in the village of Skoura where I teach. On this occasion, I was able to discuss with her the main principles of heritage conservation, talk about 99 WOMEN MOROCCO and my experience as a researcher, in particular on the methodology of collecting verbatims. I consider myself very lucky to be a part of this human experience. I grew up in this world of women and I learned to listen in particular thanks to my mother who was known for her quality of listening and her ability to resolve conflicts between people. The project 99 WOMEN MOROCCO also gives momentum to my professional life because it is a structured and ambitious platform, that recognizes a future for rural women, that recognizes them as inspiration and foundations of all development. I like this project, which goes back to nature, ancestral values ​​and traditions.

Comment s’est passé votre première rencontre des femmes dans le village Ait Ben Haddou et de Skoura?

Avant la session, j’avais parlé aux femmes individuellement pour savoir qui elles étaient et quels étaient leurs problèmes. La discussion avec le groupe a commencé par une conversation banale sur les faits du village pour créer la confiance et montrer que je faisais partie de leur monde.  Puis après j’ai enclenché l’enregistrement. L’expérience a été vraiment riche d’émotions et de sensations. J’étais comme une fleur séchée que ces femmes ont revivifiée. Des sensations qui avaient été désactivées avec le temps me sont revenues, portées par leur énergie vivante, spontanée et naturelle. Partageant un espace mystérieux « Tawsna » avec ces femmes exceptionnelles,  j’ai pleuré, ri et dansé.

How was your first meeting of the women in the village of Ait Ben Haddou and Skoura?

Prior to the session, I spoke to the women individually to find out who they were and the king of problems they had. The discussion with the group began with a mundane conversation about the facts of the village to build trust and show that I was part of their world. Then after I started recording. The experience was really rich in emotions and sensations. I was like a dried flower that these women revived. Sensations that had been deactivated over time came back to me, carried by their lively, spontaneous and natural energy. In a mysterious “Tawsna” space with exceptional women, I cried, laughed and danced.

ait benhaddou

Ait Ben Haddou

"

J’étais comme une fleur séchée que ces femmes ont revivifiée.

"

I was like a dried flower that these women revived. 

Certaines histoires de femmes vous ont-elles particulièrement touchés ?

Une belle femme d’environ 60 ans, Fatima Ait Mbare, m’a frappé. Elle a perdu son mari assez jeune et a dû subvenir aux besoins de sa famille en travaillant chez les gens et faisant des métiers très inhabituels pour une femme comme celui de construire des maisons en terre « louḥ n ttabut ». On voyait que c’était une femme très forte. Elle a dit :  “mon cœur est comme un champ, je pleure et je ris”. C’était émouvant. Une autre femme appelée Hiba m’a bouleversé. C’est une femme de 18 ans qui a souffert d’une maladie mentale et qui a vécu à la rue pendant un certain temps, ce qui est une expérience très déshumanisante. Puis elle est revenue dans la société et s’est découvert un talent d’artisane et crée des bracelets. Son histoire m’a beaucoup touché.

Are there any women’s stories that particularly touched you?

A beautiful woman of about 60 years old – Fatima Ait Mbare – hit me. She lost her husband at a young age and had to support her family by working with people and doing trades very unusual for a woman, such as building houses in “louḥ n ttabut” earth. You could tell she was a very strong woman. She said, “My heart is like a field, I cry and I laugh.” It was moving. Another women  named Hiba woman upset me. She is an 18-year-old woman who suffered from mental illness and who lived on the streets for a while, which is a very dehumanizing experience. Then she came back to society and discovered her talent as a craftsman and made bracelets. Her story touched me a lot.

Avez-vous été surpris par ces femmes ?

Oui, j’ai été surpris que toutes les femmes aient des projets d’entreprise ! Leur problème est la commercialisation, de trouver des débouchés pour leurs produits, des canaux de distribution comme des coopératives par exemple.

Were you surprised by these women?

Yes, I was surprised that all women had business plans! their problem is marketing, finding outlets for their products, distribution channels such as cooperatives for example

De quoi ont-elles besoin ? En quoi le projet 99 FEMMES MAROC peut-il contribuer à leur réussite ?

Ces femmes ont besoin de confiance en elles, d’encouragement et aussi de modèles de réussite ; après elles savent très bien faire toutes seules. Le projet 99 FEMMES MAROC peut servir de catalyseur et faire émerger des femmes leaders. Il peut constituer l’expérience réussie qui atteste que les femmes peuvent réussir leur vie de famille et leur autonomisation. Cette question du modèle de réussite est très importante et les femmes en sont conscientes. Par exemple, une femme Hayate a monté chez elle un projet touristique « ḍar ḍyafa » qui marche bien. Sa réussite est un modèle pour les autres femmes. Une autre Fatima a poursuivi ses études au collège. Elle a été la première à traverser la rivière (où se situe le collège) et ainsi a ouvert la voie pour la scolarisation d’autres  jeunes filles de son village.

What do they need? How can 99 WOMEN MOROCCO contribute to their success?

These women need confidence, support and also role models, but then,  they know how to do very well on their own. 99 WOMEN MOROCCO can act as a catalyst and bring about the emergence of women leaders. It can be the successful experience that shows that women can succeed in their family life and their empowerment. This question of the success model is very important and women are aware of it. For example, a Hayate woman set up a tourist project “ḍar ḍyafa” at her home, which is working well. Her success is a model for other women. Another Fatima continued her studies in college. She was the first to cross the river (where the college is located) and thus paved the way for the education of other young girls in her village.

"

La culture amazighe fait entendre une voix différente : celle des femmes et des montagnes.

Pour finir, que voulez-vous que la future pièce transmette de la culture amazighe ?

La pièce théâtrale est une grande occasion de célébrer la culture amazighe ; elle peut être le miroir qui reflète sa profondeur, ses racines terriennes et ses valeurs ancestrales. Le peuple amazighe est un peuple humaniste, ouvert aux cultures du monde ; nous croyons à la différence mais aussi à un destin commun. Le projet 99 peut contribuer à créer des ponts et relier les différentes cultures et identités. La pièce théâtrale est aussi très utile pour la reconnaissance de la langue et de la culture amazighe. C’est très important dans un contexte de mondialisation des valeurs et de domination de l’idéologie arabe à la fois sur le plan linguistique et culturel car la culture amazighe fait entendre une voix différente : celle des femmes et des montagnes.

"

The Amazigh culture makes heard a different voice: that of women and of the mountains.

What do you want the future play to tell about Amazigh culture?  

The theater play is a great occasion to celebrate the Amazigh culture; it can be the mirror that will reflect its depth and its earthly roots and its ancestral values. The Amazigh people are humanistic people, open to the cultures of the world; we believe in difference but also in a common destiny. The 99 Project can help build bridges and connect different cultures and identities. The play is also very useful for the recognition of the Amazigh language and culture. This is very important in a context of globalization of values and domination of Arab ideology on langage and culture because the Amazigh culture makes heard a different voice: that of women and of the mountains.

Edited by G.F

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *